La Caussade en 380 - 390
 
au temps des Nitiobroges
 
 
 Un peu partout autour de Monflanquin des débris de tuiles ou autres éléments archéologiques, quand ce n'est pas la seule toponymie, prouvent la présence romaine dans le canton au temps des Nitiobroges.. .
 
La Caussade offre à cet égard un intérêt certain avec la découverte des vestiges d'une villa et surtout de trois plaques de bronze dont les textes permettent la datation, correspondant à la décennie 380 - 390 de notre ère.
 
A cette époque les Celtes Nitiobroges, installés dans la région depuis le troisième siècle avant Jésus Christ, sont fortement romanisés ; avec une société dont Ausone a vanté la douceur de vivre dans cette partie de l'Empire. Court instant de plénitude dans les campagnes avant les invasions qui s'annoncent sur le « limes »», frontière de l'Empire, et dont Agen comme toutes les villes ressent déjà les effets. 
 

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"Inscriptions latines d'Aquitaine" par Fages B. et Maurin L.

 
La Caussade, villa romaine
 
En 1881, un notaire de Villeneuve sur Lot signale à messieurs Magen et Tholin une découverte archéologique jugée assez intéressante pour qu'ils fas­sent une excursion sur les lieux, en plein mois d'Août (1). 
 
"L'endroit où a eu lieu la trouvaille est désigné par le nom de *Touron, (source abondante, fontaine d'un rocher " en langue celte.) un champ situé presque au bord du chemin de grande communication qui va de Libos à Marmande, à trois kilomètres du hameau de Lacaussade et à une distance à peu près égale du bourg de Monségur.
 
"C'est tout près de l'habitation du propriétaire, en pratiquant une excavation quadrangulaire, que les tablettes furent rencontrées. Elles étaient posées à plat - deux et une comme on dit en termes de blason - la face gravée tournée en dessous.
 
"Nous fîmes enlever la chaux et constatâmes à Om20 environ de profondeur l'existence d'un lit de ciment d'une grande dureté, c'est là que gisaient les plaques;  l'enduit fut brisé et mesuré à la tranche, son épaisseur était de Om30;au dessous de la terre pure. A côté de l'aire à chaux, un amas de briques à rebord et de tuiles fragmentées indiquait l'emplacement d'une importante construction.
 
"Tout près avaient été jetés les débris tirés de l'excavation: nombre de morceaux de verre d'une extrême minceur ayant appartenu à des verres élégants, de petites masses vitreuses portant les traces évidentes de fusion, un clou à tête arrondie et à renflement quadrangulaire, des tessons de poterie grossière parmi lesquels un seul à couverte rouge lustrée.
 
"Monsieur Marguerit, propriétaire de ce domaine, nous dit avoir trouvé cinq ou six boules de bleu(sans doute des grains de collier en pâte colorée)mais il les cherche en vain. Sa femme nous apprit que les enfants du voisinage les avaient emportées pour jouer en guise de billes.
 
"A la face Ouest de l'habitation existait un petit acqueduc dont nous avons vu les restes. Il était cimenté dans tout son pourtour ;la partie supérieure exceptée, laquelle était formée par des briques de dimension peu commune: O m 50 de long, O m 40 de large et très peu d'épaisseur O m 025.
 
"Des sondages faits devant nous aux alentours de la maison et dans les champs qui l'avoisinent nous ont prouvé que l'enduit de ciment couvrait une surface de 40m de longueur sur 22m de largeur non compris les cours et bâtiments d'exploitation qui s'annoncent, à ce qu'on nous a dit, par des substructions dirigées dans tous les sens. L'habitation, dépourvues de placages de marbre et de mosaïques, paraît avoir été relativement modeste.
 
"On a découvert une base de colonne en marbre blanc. Les murs avaient pour décoration de larges bandes rouges et jaunes sur un enduit de chaux. Un *incendie ("nous avons fait des tranchées sur plusieurs points. La présence des cendres et de charbon nous a donné (explication de cette particularité.") a probablement éclaté dans la villa qui se sera effondrée, couvrant tous ses débris. Les plaques de bronze, sans doute suspendues à une cloison, ont pu tomber dans le foyer en gardant leur position respective."
 
 
La Caussade, les 3 tablettes de LUCIPIN
 
 
La première tablette est tare plaque de bronze découpée en forme de fronton ^ dans sa partie supérieure avec un chrisme X flanqué d'un alpha et d'un oméga , inscrit dans un cercle de 5 cm 5 de diamètre. Le cadre de 2 cm de largeur avait une baguette de cuivre décorée de trois nervures, aujourd'hui disparue (3).
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Le texte, daté de 383 – 388, mentionne "A Claude Lucipin, clarissime, consulaire de la Senonie Maxime, en raison de ses mérites éclatants, la cité des Sénons dédie cette plaquette J à son patron. "
 
 
 
La seconde plaquette également de bronze, avec deux points d'impact vers le bas, ressemble à la précédente avec ses dimensions équivalentes:
34 cm x 22 cm x O cm 5 .
 
Le texte daté de 383 - 388 : "A Claude, consulaire de Senonie Maxime, la cité des Auxerrois. En raison de tes si grands mérites , c'est la province, clarissime, heureuse grâce à toi, qui t'a donné ces tablettes; elle voudrait te décrêter des statues. "
 
La troisième tablette en bronze est légèrement plus petite avec ses 32 cm x 20 cm 5 x O cm 5.Mais en tout aussi bon état que la précédente.wpeFD.jpg (6749 octets)
 
 
 
Le texte est un fragment d'un poème des Orléanais à l'adresse du même Lucipin : "s'il sondait le cœur des Orléanais cherchant à pénétrer cet ouvrage .... "
 
 
 
 
 
 
Ces trois plaques en territoire Nitiobroge sont des tablettes-souvenirs offertes à Claudius Lucipin par les trois chefs-lieux de la Maxima Senonia: Sens, Auxerre, Orléans. Il était patron dans le premier, et la tablette de cette ville de Sens, où il est établi, est rédigée selon un formulaire très classique. Cet hommage des trois villes est clairement lié au gouvernement de Lucipin, seul gouverneur attesté de cette province.
 
Le personnage de Lucipin à vrai dire n'est connu que par ces *documents (ces trois documents sont déposés au Musés d'Agen. Leur étude, ici  présente, est due à  MM. MM. Fages et Maurin(3).Tholin pour sa part (1) donne une biographie plus étoffée de Lu ci pin ; non retenue par MM. Fages et Maurin.). On présume qu'il possédait la villa dans laquelle ont été retrouvés ces documents, ou même qu'il pouvait être originaire de l'Aquitaine seconde...  Il n'est pas impossible que, gouverneur, il ait eu d'autres tablettes au nom de Chartres, Troyes, Paris ou Meaux.
 
La Caussade, en territoire Nitiobroge
 
Cette découverte archéologique à La Caussade nous plonge en territoire Nitiobroge au temps des Romains;les Nitiobroges, peuple celtique, semblant s'être établis dans l'Agenais assez tardivement entre le V° et le II° siècles avant J.C.
 
wpeFF.jpg (9015 octets)Vers le Nord leur frontière avec les Pétrucores suit le Dropt de sa source jus qu'à la hauteur de Eymet où elle se tourne vers Sainte Foy la Grande (3). Delà, l'état Nitiobroge s'étend, grosso modo, de l'embouchure du Dropt vers l'Ouest à celle du Tarn vers l'Est.
 
Les routes qui ont dû jouer un rôle fondamental dans l'organisation des états aquitains, structurent également celui des Nitiobroges: au Centre et à l'Est de cet Etat en effet les deux voies qui passent la Garonne respectivement à Aiguillon et près d'Agen, se confondent plus au Nord à Eysses sur le Lot et ne font plus qu'une seule voie passant près de La Caussade pour gagner le Périgord et le Limousin.
 
A l'époque de la guerre des Gaules nous savons par César que les Nitiobroges ont à leur tête un roi, Teutomacus. Si l'on considère la disparition quasi générale de ce type de gouvernement par contagion de l'exemple romain après l'annexion par Rome de la Gaule méridionale, on peut s'étonner que les Nitiobroges, aux portes de la Provincia Romana, aient conservé un roi. D'autant plus que la "romanophilie" des Nitiobroges perdure même après le début de la guerre des Gaules.
 
Il faut attendre l'entrée en scène de Vercingétorix en 52 pour voir les Nitiobroges renverser leurs alliances. Au vrai, la participation des Nitiobroges au soulèvement de 52 ne brille guère par son éclat, c'est le moins que l'on puisse dire. Le roi s'illustre en effet par la mésaventure dont il est victime : surpris par les Romains alors qu'il fait la sieste sous sa tente il parvient tout juste à s'enfuir à demi nu.
 
Cet épisode révélateur d'un engagement peu "agressif " à l'encontre des Romains explique en grande part que Rome ne tienne pas rigueur aux Nitiobroges de leur révolte tardive et "légère":
 
Alors que la réorganisation de l'Aquitaine est particulièrement rude avec la concentration d'une trentaine de peuples en neuf cités seulement, le peuple Nitiobroge reste regroupé en une même entité, la Cité Nitiobroge.
 
La Société Nitiobroge au IV' siècle
 
Malgré les catastrophes de 276 et 355 le "Barbare" a été refoulé, contenu, "civilisé" ou mâté. Aucun auteur aquitain ne semble craindre ni l'invasion armée, ni l'envahissement pacifique ; la "barbarisation " de l'Empire n'est pas encore la préoccupation dominante.
 
Au-dessus de la petite patrie Bordelaise, Ausone vénère Rome qui donne au monde sa Lumière. L'Humanisme classique, y compris son dédain de la technique, s'est transmis par les Universités à l'aristocratie Gallo-romaine.
 
Les villes comme Agen sont des foyers indispensables à la diffusion de la culture romaine, cette culture qui donne à tous un merveilleux instrument de communication et de relation(4)
 
Même si Agen semble connaître un arrêt d'expansion dès la première moitié du II° siècle pour ne la retrouver que bien plus tard au XII° et XIII° à l'époque de la naissance des Bastides.
 
En même temps Agen, comme toutes les villes antiques, vit en étroite symbiose avec les campagnes environnantes : l'aristocratie urbaine est essentielle ment une aristocratie foncière qui tire de la terre ses revenus et sa dignité. Les réalités économiques et financières accroissent encore cette "faim de terre" au N° siècle. Malgré les efforts des Empereurs, l'action gouvernementale n'a jamais réussi à éteindre la flambée inflationniste ni à maintenir la stabilité des prix. Devant une telle situation économique la classe dirigeante retourne à la terre et chacun amasse des propriétés à la campagne, s'installe dans des villas (4).
 
La richesse agricole de l'Aquitaine au IV' siècle est célèbre, sa production de blé aide à nourrir entre autre l'armée romaine. A ce blé s'ajoute la liste des nombreux produits d'une riche polyculture dont la vigne est un élément non négligeable. En effet, la variété pédologique rejoint celle du climat : les arbres, les vignes, les prés, les labours répondent à cette diversité locale. C'est dans un tel ensemble socio-économique que s'intègre la villa de La Caussade.
 
 la douceur de vivre de l'époque
 
Au demeurant, dans cette villa de La Caussade, comme dans toutes celles de l'Aquitaine, tout doit concourir au bien être, tout doit faciliter cette douceur de vie que le poète Ausone a chanté (4).
 
Sur le terroir, forêts champs et rivières offrent les distractions de la chasse et de la pêche. Ausone nous dit qu'il faut savoir "poursuivre à grands cris un sanglier écumant et le guetter à l'affût pour ensuite jeter l'épieu", qu'il faut aussi savoir  "cerner les cerfs errants et les rabattre dans ses filets".  A moins de tendre, l'hiver dans les buissons, des filets aux roseaux légers afin de "capturer à la lueur indécise de l'aurore des grives". Dans la liste du gibier familier, les lièvres viennent en tête. Ensuite on dénombre renards, castors, blaireaux, fouines, loutres, belettes et rats, sans oublier les canards lors de leur passage. En outre l'occupant de la villa n'ignore rien des secrets de la pêche au filet ou à la ligne.
  
Distractions mais aussi occasion de faire bonne table. Tous ces propriétaires terriens sont de grands mangeurs et buveurs. Le plaisir de la table ne vaut que s'il est partagé, car il fait bon Vivre, nous dit Ausone, loin de la ville où se bouscule le "populaire", la populace !! Toutefois s'éloigner de la ville ne signifie pas, pour un gentilhomme campagnard, renoncer à ses semblables. Au IV' siècle, en Aquitaine la vie de relation devient plus active; ce qui implique d'autres villas implantées dans les environs, comme le laisse supposer la  toponymie alentour de La Caussade.                                                          
 
Douceur de vivre donc, mais pour qui ? Pour les maîtres, les notables ! Quant aux travailleurs libres ou esclaves, ils sont témoins de cet art de vivre dont ils assurent au demeurant le fonctionnement tout en n'en  recevant que les miettes. Situation d'autant plus dure, pour eux, que la machine est pratiquement proscrite. 
 
 Loin des frontières du Rhin cette société Nitiobroge de la décennie 380 -390, que caractérise la villa de La Caussade, profite des dernières lueurs de l'Empire Romain dominant.
 
Ce coin un peu excentré de la cité Nitiobroge, où la forêt représente l'essentiel de l'écosystème à peine touché par l'implantation des villas, donne une idée de la Pax Romana arrivant à son terme.
 
Quelques années plus tard la grande invasion des Vandales annonce le temps des troubles. La région devient alors le carrefour des déplacements de peuples en mouvement, puis le théâtre de longues rivalités politiques et militaires. L'image de la villa de La Caussade s'estompe de la mémoire locale pour disparaître durablement.. jusqu'à l'exhumation des trois tablettes de Lucipin !
 
ODO GEORGES
"Sous les Arcades" 1996 n° 367
Revue de la MJC
 
 
BIBLIOGRAPHIE
 
• 1- Magen a. et Tholin g. "Trois diplômes d'Honneur du IV° siècle" : revue de l'Agenais 1881 p.386 et svtes.
 
• 2-Tholin g. " Causeries sur les origines de l'Agenais" : revue de l'Agenais 1895 p.144 et svtes
 
• 3-Fages b. et Maurin 1. "Inscriptions latines d'Aquitaine" : splt à la revue de l'Agenais 1991.
 
• 4-Higounet ch. "Histoire de l'Aquitaine" : édition Privat 1971