Jean   de    Durfort
seigneur du château de Born
début  XVII° siècle
  Pendant la guerre de Cent ans Monflanquin avait déjà eu comme voisins les Durfort, installés à Gavaudun (1). La bastide en retrouve le voisinage en   1595 quand une branche des Durfort s’installe au château de Born. En effet à cette date Jean II du Maine, seigneur de Scandaillac, épouse Antoinette de Durfort soeur de Jean de Durfort de Baujamon ; les deux beaux-frères vont échanger à cette occasion leurs baronnies : Jean de Durfort   s’installe au château de Born.. .
 
Fin XVI° siècle, c’est donc ce Jean de Durfort qui a la responsabilité du Château de Born. Sa gestion a pour résultat de tendre aussitôt les rapports avec les tenanciers alentour qui doivent lui payer le cens. Dureté de l’intendant du château envers les retardataires ou bien exigence trop grande de sa part sur les taux imposés ? Quoiqu’il en soit les procès ne vont pas manquer.
 
Tensions si fortes et contestations si  permanentes qu’elles amènent la sénéchaussée d’Agen à faire ce que l’on appellerait aujourd’hui un audit sur les droits réels du seigneur.  Pratique qui correspond bien à l’adage qui régit le sud-ouest : « nul seigneur sans titre », titre dont faut faire la preuve.(2)
 
Le compte-rendu des notaires commis à cette tâche  (3) permet de se faire une idées précise du domaine des Durfort, de son extension géographique, du montant et de la nature des revenus prélevés, en matière de cens, sur la population. Par la même occasion il est aisé, au travers de cet exemple précis et local, de mieux comprendre la structure des seigneuries dans le Royaume de France sous l’Ancien Régime avant 1789 .
 
 
  *                       *
  *
 
Jean de Durfort, seigneur de Born
 
Le représentant le plus brillant de la branche des Durfort de Born fut sans conteste le fils d’Arnaud de Durfort seigneur de Durfort et de Marie de Lalande : Jean de Durfort, conseiller d’ État, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, lieutenant général de l’artillerie de France. (3)
 
En 1574, Jean de Durfort épouse Louise de Polignac dont il aura trois enfants ; une fille et deux garçons (4) :
 
_ Marie de Durfort mariée en secondes noces à Isaac du Maine seigneur de Scandaillac.
_ Arnaud de Durfort tué au siège d’Amiens en 1597.
_ Léon de Durfort, seigneur de Born et de Bellabre, surintendant des fortifications de France ;                           il épousera en 1605 Lucrèce de Béthune nièce de Sully.
 
En 1597, Jean de Durfort est nommé chevalier du St Esprit par Henri IV dans la promotion faite à Rouen, en l’abbaye de St Ouen, le 5 Janvier de cette année. Lieutenant-Général de l’artillerie de France, il avait fait l’apprentissage des armes sous Arnaud de Gontaut, baron de Biron, dit « Biron le Boiteux » grand-maître de l’artillerie et Maréchal de France. Le Maréchal n’avait pas tardé à apprécier les qualités intellectuelles autant que l’habileté militaire de son lieutenant dont il fit son conseiller, son secrétaire et son ambassadeur chargé de missions auprès des villes et des princes.
 
Une fois la paix revenue les arriérés de taille, de par la volonté de Henri IV, sont en 1595 abandonnés et l’on remet un tiers des arrérages de rentes pour les années 1589-1594. Cet effort participe du renouveau des campagnes : en une quinzaine d ‘années, les traces extérieures de la tourmente disparaissent (5). A contrario de cette démarche, Jean de Durfort se lance dès que c’est possible dans une série de procès pour payement d’arrérages de rentes et de cens ; par exemple (3) :
           
            1596 - sentence à lui régler les droits seigneuriaux ; poursuite contre débiteur.
            1599 - trois poursuites distinctes contre débiteurs.
            1601 - sentences obtenues contre deux tenanciers.
 
Ces désaccords persistants entre seigneur et tenanciers amènent en 1602 la sénéchaussée à ordonner la vérification et la recherche de preuve des droits féodaux que Jean de Durfort fait valoir contre de nombreux réfractaires.
 
Le document établi à cette occasion, «sachant tous que par devant les notaires soussignés, a esté haut et puissant seigneur messire établi», est un véritable état des lieux qui apparaît comme une sorte de photographie instantanée du domaine de Born au début du XVII° siècle.
 
 
Le domaine de Jean de Durfort
 
 En 1602, « le puissant seigneur messire Jean de Durfort... étant à présent au lieu et château noble de Bellabre ... confesse et avoue tenir à hommage lige et fidélité sans aucune charge ni redevance quelconque du Roy de sa chastelnye de Monflanquin ... (3)
 
« Sa maison noble dudit lieu de Born consistant en maison et château, tours, basses cours, grange, pigeonnier, escuries, estables, prés, bois, vignes, jardins, appartenances et dépendances, esquelles est comprise une métayrie estant de la maison noble assise au bourg de Born qui joint d’une part le grand chemin tendant de Montaut à Paulhiac, d’autre au chemin tendant de Jouandillac à Villeréal, et d’autre au grand chemin tendant du bourg de Villars au dit Villeréal, d’autre au chemin tendant de Jean de Born à Villeréal, d’autre à la terre des hoirs de feu Jean Vedel, dict Gardonne, avec la terre des tenanciers des villages de Pasquet et Mynart, contenant le tout 87 sexterées 4 boysselats [c’est à dire 85 hectares], de laquelle maison noble dépendent plusieurs villages et lieux qui doivet audit seigneur, à cause de son dict château de Born plusieurs cens et rentes seigneurialles féodales et foncières tant de bled, avoine, poulaille... »
 

château de Born

« Premièrement une métairie sise en ladite paroisse de Born, consistant en maison, grange, estable, moulin avec terres, prés bois et vignes, le tout tenant ensemble, joignant d’une part le ruisseau qui descend du village de Couardes, allant au pont de Carbariou faisant ledit ruisseau division des fiefs dudit seigneur de Born et du seigneur de Montaut, d’autre au grand chemin tendant au bourg de Born au bourg de Montaut et d’autre aux terres dudit Jean de Born, et d’autres au grand chemin tendant du village de Couardes au
dit Villeréal, contenant 17 sexterées de terre [environ 16 hectares].
 
« Plus ne autre métairie dépendant de ladite maison située en ladite paroisse de Born consistant en une maison, terres, vignes et près qui joint d’une part le grand chemin tendant de Montaut à Pauilhac .... 14 sexterées 2 carthonats [environ 14 hectares].
 
Soit un total d’environ 115 hectares ... « Plus un moulin assis sur le ruisseau de Laujon en la paroisse de Vals, moulin à deux meules ».
 
 
Revenus tirés de la paroisse de Born
           
« Item est deubt audit seigneur de Born en la dite ville paroisse de Born des cens, rentes seigneurialles et foncières à chacun jour de St Michel » .(3)...  Suit une énumération dont le tableau suivant fait la synthèse :          
              
   à savoir                 36.238 litres        19.215 litres             241                 254            58       15      0
 
Le décompte du froment et de l‘avoine se fait en utilisant des charges de 8 carthons comme l’indique le texte et selon les valeurs de Monflanquin, à savoir :
 
                        _ 1 charge        = 218 litres 672     soit 8 carthons
                        _ 1 carthon      =   27 litres 334     soit  8 boisselats
                        _ 1 boisselat   =     3 litres 418
           
Le total de 362 quintaux de froment et de 192 quintaux  d’avoine   pour la seule paroisse de Born, et ses douze villages, donne une idée de la lourdeur des prélèvements opérés par le seigneur et explique en même temps le nombre de contestations qu’opposent des paysans soumis à un tel régime.
 
Sort qui n’épargne pas les paysans  installés dans d’autres paroisses, mais liés à Jean de Durfort de Born par les mêmes liens juridiques en ce qui concerne la terre .....
 
 Revenu total du château de Born
 
 D’autres hameaux, mentionnés comme « villages », appa-raissent dans la liste des notaires. Trois paroisses, en plus de celle de  Born, sont concernées à ce propos :
                       
- La paroisse de St Just avec deux villages : Gigoussac et la Gardonne.
 
- La paroisse d’Envals avec huit villages : Auzolle, Basset, Bergnotis, Landrine, Margonne, Maynet, Rigot et Tavel.
 
- La paroisse de St Etienne de Villeréal avec quatre villages: Cugnes, Peyragal, Rouillères et Vigorre.
 
 
Tableau récapitulatif  des revenus de Born

Le tableau récapitulatif des revenus du château de Born donne un total de 548 quintaux de froment,  314 qtx d’avoine, 598 poules, 416 journées de travail, plus une somme de 126 livres 10 sous et 2 deniers... sans tenir compte des 115 hectares.

 Globalement la masse des paiements en nature l’emporte nettement sur les charges financières. Le tout incontestablement est lourd, la taille et la dîme venant se surajouter ; même si, dans le système fixe des redevances qui est appliqué, l’époque est ressentie comme favorable par les paysans puisque le pays traverse la conjoncture apaisée des années 1600-1615. Le seigneur lui-même  y trouve son compte avec en face de lui  des paysans solvables. Cette conjoncture bénéfique grâce à la paix intérieure et extérieure n’est rien d’autre que le temps de « la poule au pot ».(5).
 
Par ailleurs, si l’on compare les paroisses entre elles, celle de Born est la principale débitrice sauf en matière de versement financier où la paroisse d’Envals paie deux fois plus que Born. Peut-être faut-il voir là une modalité de compensation à la distance : moins de transport en nature et plus d’argent !
 
Il est, en effet, intéressant de se pencher sur la carte et localiser les «villages» redevables du cens au château de Born.
 

Paroisse de Born
 
1 Born
2 Couarde
3 Jean de Born
4 La Beyssade
5 Pasquet
6 Mynard
7 Mayne grand
8 Combet
9   Abréas
10 Jouanet
11 Lamarque
12 Andrion
P.  St Just
 
14 St Just
15 Gigoussac
16 La Gardonne
P. Envals
 
17 Auzolle
18 Basset
19 Bergnotis
20 Landrine
21 Margonne
22 Maynet
23 Rigot
24 Tavel
P. St E Villeréal
 
25 Cugnes
26 Peyragal
27 Rouillères
28 Vigorre
Il est logique que la principale concentration se regroupe autour du château de Born avec un prolongement vers le Nord en direction de St Étienne de Villeréal et vers le sud en direction de St Just.
 
Par contre il est surprenant de retrouver un ensemble cohérent à distance du château, dans la paroisse d’Envals. Affaire d’héritage antérieur vraisemblablement.
 
A bien regarder la configuration de ce domaine épars, le chemin de Scandaillac à Villeréal lui donne un axe nord-sud, tandis que la chemin de Montaut à Paulhiac lui apporte un axe est-ouest.
 
 Autre signe distinctif de cet ensemble : il est en position intermédiaire entre les deux bastides de Villeréal et de Monflanquin ; la première de sentiment catholique et la seconde fière d’être place forte huguenote. Position donc importante et délicate sur le plan politico-religieux de la fin XVI° et  début  XVII° siècles.
 
 Structures d'une seigneurie
 
 Ce dénombrement de la seigneurie de Jean de Born nous met en présence d’une structure classique dont on peut repérer les grandes lignes.
 
  Le premier point concerne la reconnaissance des droits seigneuriaux.
 
 Une seigneurie est un ensemble de terres, soigneusement et anciennement délimitées, qui constitue la propriété éminente et la zone de juridiction d’un personnage individuel ou collectif nommé seigneur.
 
Mais alors que dans la France du nord domine l’adage célèbre « nulle terre sans seigneur », c’est l’adage inverse, expression d’un droit contrasté, qui régit le midi « nul seigneur sans titre ». (2)
 
Le second point concerne la répartition de l’exploitation.
 
En règle générale, une seigneurie se divise en deux parties : le domaine et les censives
 
Ferme de Lamargonne en 1995
Le domaine, où se dresse la maison seigneuriale ici le château, comprend généralement un parc entourant le manoir, une grande ferme proche, dite la «basse-cour», souvent une chapelle et un moulin, et presque toujours des terres et des bois bien groupés qui sont tous sous la dépendance directe du seigneur. Lequel peut le mettre lui-même en valeur avec la masse de journées que lui doivent les censitaires : corvées de bras, de transport etc. ; ou en confier une partie à des métayers.
 
Les censives ou tenures sont les terres jadis confiées à des manants moyennant une cascade de redevances forts variées, dont la plus significative est le cens cette redevance annuelle versée à date fixe, imprescriptible et qui justement est une marque de reconnaissance des droits du seigneur. De plus généralement le seigneur possède le monopole de la chasse, de la pêche, de l’utilisation des rivières, de l’élevage des pigeons (6), de la vente et même de la récolte de ses produits : par exemple il vendange le premier et vend son vin le premier, c’est le banvin...... Enfin le seigneur possède généralement le monopole, autrement dit le ban, du moulin, du pressoir, du four dont il ne cède pas gratuitement l’usage.
                                              
*                       *         
                                                          
*
 
            - Le 11 mai 1606 « Le présent aveu et dénombrement signé par les notaires soubsignés à la requête du seigneur de Born qui y a apposé le scel du chasteau dudit Bellabre le unsiesme du mois de may l’an mil six cent six » signés : de Born, Maleyrot notaire.       
 
            - le 18 mai 1606 Henri IV accorde les lettres patentes donnant ordre à la Chambre des Comptes de faire connaître ce dénombrement.
 
            - Le 16 juin 1606 la Chambre des Comptes du roi à Paris s’exécute et notifie les dites lettres patentes au sénéchal d’Agenais.
 
            -- Le 20 juillet 1606 en l’audience de la Cour de la sénéchaussée d’Agenais et Gascogne au siège d’Agen comparaît M° Jean Singlande pour messire Jean de Durfort, baron de Born et chevalier des Ordres du roy, lieutenant général de l’artillerie de France, qui requiert publication et lecture desdites lettres dans le délai qu’il plaira à la Cour d’ordonner.
 
Jean de Durfort recevait ainsi un justificatif de ses droits face aux réfractaires. A distance il reste un document illustrant avec précision la réalité d’une seigneurie du Haut Agenais au début du XVII° siècle.
           
  Odo  Georges
 "Sous les Arcades"
2001
 
n     Bibliographie :
 
1.    Odo G. « Monflanquin pendant la guerre de cent ans » S.L.A. n° spécial   1997 
2.    Goubert P. « L’ancien régime : 2 tomes » A. Colin 1982
3   Lafont E. « Jean de Durfort de Born » Fonds local de Villeneuve / Lot LH 12 - ( ce document est largement     utilisé dans la présente étude)
4   Archives d’Agen : référence   B36
5   Duby G. « Histoire de la France rurale, 1340 à 1789 » Seuil  1975
6   Odo G. « Les pigeonniers du Monflanquinois » S.L.A. n°373  1996